HOMMAGE à nos collègues disparus
Ce n’est pas un militaire qui salue la mémoire de ses camarades tombés au champ de bataille, ni un officiel qui décerne la médaille à titre posthume à des Jaambaars tombés au champ d’honneur, comme on a l’habitude de le voir, mais un enseignant qui salue la mémoire de ses collègues disparus ; eux aussi morts pour la patrie et qui malheureusement n’ont jamais eu droit aux honneurs.
Chaque collègue, aujourd’hui à la retraite ou encore en fonction, garde en mémoire l’histoire d’un collègue qui s’est tué à la tâche.
Bien d’enseignants tombent malades mais ne trouvent pas du temps pour aller se soigner parce qu’en service dans des localités sans aucune structure sanitaire ou, parce que le programme à terminer, les tâches afférentes à leur mission font qu’ils ne peuvent pas s’absenter et perdre des heures de cours. Surtout à pareille période, à la veille des examens, ils sont de plus en plus sollicités et ce au détriment de leur santé.
L’intransigeance de certaines administrations, par rapport à certains cas, est souvent à regretter. Nous ne citerons pas de noms, mais il y a un an, un directeur d’école avait exigé malgré le certificat médical délivré par un médecin sur l’état de santé d’un maitre de CM2, que ce dernier revienne dans sa classe.
Malgré les appels téléphoniques du médecin pour informer le directeur de la gravité de la maladie de son élément, le directeur est resté sur ses positions.
Et finalement, c’est à bord d’un taxi qu’on a embarqué l’enseignant alité qui servait à Fatick alors qu’il était hospitalisé à Thiès auprès de sa famille, pour rassurer son directeur d’école du sérieux de son cas. Un enseignant qui finalement décédera deux jours après son voyage.
Loin d’accabler qui que ce soit, nous voulons juste partager cette histoire dans laquelle chacun retrouvera une part de lui-même.
Il est vrai que la mort est indifférente au statut de ses proies et aux lamentations de leurs proches : elle n’épargne personne ; « on marche on court, on rêve on souffre, on penche, on tombe… » notait Hugo.
On a beau philosopher pour l’exorciser : « philosopher c’est apprendre à mourir » notait Cicéron qui, à la fin de sa vie meurtri par la mort de sa fille et son divorce, édicte une philosophie de la résignation empreinte de stoïcisme ; se divertir pour ne pas y penser selon l’idée de Pascal qui considérait que ce n’est pas la mort qui fait peur mais le fait de penser à la Mort, mais cet absolu selon l’expression de Hegel, nous surprend et frappe quand on s’y attend le moins. Peut-être pour plaire à cette mort, il faut savoir l’attendre…
« Nous sommes tous des pions sur le damier du temps : la mort est la chose au monde la plus démocratique», me confiait Mon ami Sanou sy Ba, professeur de Philosophie au lycée des Parcelles assainies, lorsque nous avons appris à la fin du baccalauréat le décès de notre ami, Mor Samb qui fut professeur de philosophie au lycée de Kaffrine d’abord avant d’être affecté à Ziguinchor.
Pour les besoins du baccalauréat de l’année passé M. Samb, comme aimait l’appeler affectueusement ses élèves, le Nietzschéen pour ses camarades de promotion de l’Ecole Normale Supérieure, Margo, Wally Ba, Madior, Dominique Sylva ; Mor pour ses collègues du Lycée Djignabo, Bernard, Denis, Serigne Abdou Dione, était envoyé en mission à Thiès.
Malheureusement, il ne touchera pas ses indemnités de corrections, et sa femme peut-être jamais, car la grande faucheuse ne lui a pas permis de retrouver cette dernière qui attendait son retour à Ziguinchor avec ses enfants.
Au lycée de Mbao, c’est notre collègue Papa Moussa Thiam qui est subitement décédé. Comme pour dire Adieu à ses élèves, il a fait cour jusqu’ à la veille des anticipées de Philosophie avec ses candidats ; « il les a accompagnés jusqu’à ses dernières heures », confiait son proviseur, avant de rendre l’âme…
Le professeur Sémou Pathé Gueye, Habib Mbaye, Pape Amadou Ndiaye, Babou Séne, Louis-Roi-Boniface Attolodé du département, de philosophie, les proviseurs Mané, Waly Ndiaye du lycée de khombolle, le professeur Guibril Ndiaye du lycée Kennedy, le professeur Michel Diouf du lycée Valdiodio Ndiaye, El hadji Djibril Seck , qui fut instituteur à Fayil dans la région de Fatick, tous disparus avant de décrocher, se savaient malades ; souffrant dans la dignité, ils avaient tenu à accompagner leurs élèves et étudiants dans l’exercice de leur noble mission.
Le cas d’un jeune collègue Ismaila Diedhiou professeur de SVT qui venait juste d’avoir son diplôme pédagogique (CAES) après avoir passé par la vacation, décédé au mois d’Avril , a attristé toute la communauté scolaire d’Oussouye : à lui seul, il avait loué une maison pour les élèves de son villages venus poursuivre leurs études, après leur BFEM, au lycée Aline Sitoé Diatta. Hospitalisé tardivement, il est décédé à l’hôpital de Ziguinchor.
Il confiait d’ailleurs à ses élèves qu’il n’en a plus pour longtemps. Il se savait malade, mais continuait à faire les cours et à coordonner les activités pédagogiques de la cellule d’établissement dont il était le coordonateur
Le contrat moral qui lie les enseignants aux enseignés semble plus fort que tout ; plus fort que les revendications pécuniaires qu’on nous prête chaque fois qu’on se fait entendre : c’est au prix de leur vie, de leur santé que ces enseignants que j’ai cités, ceux auxquels vous pouvez penser en ce moment, cher lecteur, qu’on a été formé.
Ils ont servi l’école bien que la nation les ait oubliés : la classe a été un gai savoir pour eux avec comme seule récompense le plaisir d’avoir contribué à la réussite de leurs élèves.
D’autres enseignants, plus engagés n’avaient pas que la craie et l’éponge : leur plume, leur voix servaient des causes nobles.
Je pense au Doyen Biram Ndiaye, fondateur de l’école Khadim Rassoul sise à Castors, pour l’héritage laissé à ses enfants ; à Feu Iba Ndiaye Djadji : malgré sa maladie, il est resté au front avec le SUDES jusqu’à sa subite disparition ; le doyen Mamadou Barry, enseignant à la retraite à Mecké qui, dans une de ses publications, rappelait aux jeunes enseignants que nous sommes que la grève est une arme ultime
Il écrivait à propos :
« Arme ultime, mais arme redoutable, dévastatrice, aux conséquences incalculables. Les enseignants ont été, sans certainement le vouloir, entraînés dans une logique de confrontation, logique où hélas, n’entre pas seulement en jeu le besoin légitime d’être en possession de son dû mais aussi, peut-être, la soif de se venger, de montrer eux aussi leur force. Le sentiment de l’humiliation peut pousser, si on n’y prend garde à des actes regrettables et déplorables !
Ces « coups » des enseignants contre l’Etat sont hélas d’abord subis par les apprenants et les parents. Il faut aussi affirmer et regretter que ces actions soient menées par des collectifs où les plus influents ne sont pas toujours les conscients, les plus responsables.
D’autant que des comportements pernicieux ne manquent pas d’entacher fortement, il faut le dire, ces débrayages. En effet, si certains enseignants au sortir des A.G. ont la mort dans l’âme, et restent longtemps parfois dans les locaux de l’école qu’ils ne peuvent abandonner sans peine, d’autres s’en donnent à cœur joie, n’assistent même pas aux réunions, pressés qu’ils sont d’aller vaquer à leur affaires.
Beaucoup d’entre eux ne se gênent pas du tout d’aller donner des cours dans le privé ou à domicile. Alors là, il faut le dire fortement et en toute honnêteté, ne peut manquer de se poser un problème de déontologie, d’éthique.
Cette lutte, si elle tire en longueur, ne pourra manquer de ternir l’image des enseignants devant les parents qui se soucient avant tout de l’avenir de leurs enfants, et aussi devant des apprenants qui ne manqueront certainement pas d’envier leurs camarades du privé qu’ils sont parfois tentés de faire sortir. Personne ne peut nier que l’Etat a la plus grande part de responsabilité dans cette situation plus que grave.
Mais demain devant les conséquences fâcheuses qui résulteront de cette lutte, l’Etat sera-t-il le seul responsable ?
À la longue, après l’ardeur des premiers jours, que voit-on ? Certains, surtout ceux qui tiennent des classes d’examen, se souciant de ces futurs candidats, retournent dans les classes, conscients qu’ils sont de la complexité de la situation… »
Je pense, aussi, au docteur Adama Boudiougou Ndiaye, intellectuel, que je n’ai pas eu l’occasion de connaître mais avec qui je partageais la passion de l’écriture.
Dans un article intitulé : La philosophie est une chorégraphie du silence, il écrivait ceci : À quand le silence ? À quand le recueillement qui est cri « au secours ! ». S’entendre, s’écouter, s’accorder, une nécessité vitale pour apaiser la clameur.
Il n'y a qu’une quête qui vaille, c’est celle du silence, l’unique rempart de ceux qui ont pris conscience et qui portent haut le flambeau de l’âme. Le silence vit en eux comme la présence de l’esprit ; il illumine le jour de l’homme, lequel, à son tour, illumine l’ombre de la forêt.
L’ombre devient la Semence unique, de plus en plus lumineuse, irrésistiblement attractrice, une transmutation de la forêt passant définitivement de l’état « sauvage » à l’état « pacifié », où enfin hommes et bêtes apprennent à conjuguer leurs efforts et cultiver la paix éternelle… »
Cette paix éternelle, c’est ce que nous souhaitons à tous nos morts, aux collègues enseignants, aujourd’hui disparus auxquels nous devons tous rendre hommage : à défaut de la reconnaissance de la nation que chaque enseignant s’efforce de tenir haut le flambeau de l’espoir pour le redressement de l’école, creuset de l’éducation, sans laquelle il n’y aura jamais un nouveau type de sénégalais ; Soyons dignes de l’héritage de ceux qui sont morts au front, notre front !
Bira SALL
Quartier Ndoutt Tivaouane.
Professeur de Philosophie au Lycée de Thiaroye
sallbira@yahoo.fr