Nous (mon collègue, frère et ami M. Ly et moi) quittâmes le lycée à quinze heures et un quart direction La Poste de Thiaroye. Quelques cinq minutes de marche plus tard, une belle bagnole coupée, de couleur grise métallisée de marque Ford Focus, se gara net à notre niveau : il s’agissait du censeur de notre établissement qui se désolait de ne pouvoir nous conduire, ne serait-ce jusqu’à ladite Poste, afin de nous épargner la pénibilité du soleil qui dardait ses rayons sur nous. Nous marchions tranquillement, passant par l’échangeur dont la société EIFFAGE Sénégal assurait les finitions.
Nous ratâmes le bus sur lequel nous avions misé : La Ligne 11 que nous vîmes passer. Nous nous rabattîmes sur un autre réseau de transport qui fait la fierté des dakarois depuis l’ère Wade : les minibus surnommés « tata » suivant une métonymie. On désigne ainsi le moyen de transport utilisé par sa marque.
L’heureuse élue était la ligne 58, réputée express. En réalité, cette ligne vedette, tant prisée, emprunte l’axe Seven Up-Patte d’oie de l’autoroute à péage, exempt d’embouteillages monstres, avec des arrêts sporadiques.
Une fois à la gare de péage, nous aperçûmes de l’autre côté un cortège ministériel long de plusieurs voitures 4X4. Nous parlions politique, éducation, société jusqu'à ce que l’affaire Cheikh Yerim Seck s’invitât à notre débat. Nous étions devant le concessionnaire de véhicules EMG. Lorsque mon collègue m’interpella sur la suite que connaîtrait ce dossier tristement célèbre.
-Cheikh Yérim va bénéficier d’une liberté d’après une certaine presse.
-La chose n’est pas si aisée, disais-je, les avocats de la défense ont certes brandi l’argument de la clémence afin que leur client puisse reprendre son job, à la suite d’une médiation entreprise par Elhadji Mansour Mbaye et bien d’autres notables.
-Penses-tu que Yerim puisse reprendre son job au Sénégal ? Après cette histoire .
-Le pauvre, lançai-je, est tombé dans le piège. S’il parvient à faire son mea-culpa et présente des excuses publiques en toute humilité. Il pourrait reprendre ses activités mais il ne sera plus au devant de la scène. Par conséquent, il serait contraint de plonger dans l’anonymat.
-Qu’il s’expatrie, disais mon vis-à-vis, eu égard à son train de vie, son comportement, son goût prononcé pour les mondanités. Il avait tort de se faire passer pour ce qu’il n’était point : un musulman pieux à la foi raffermie qui jeûnait la plupart du temps et priait à des heures insoupçonnées(en pleine nuit).
Nous étions d’accord sur ce point la foi se vit mais ne se dit pas. Alors on n’a pas besoin de l’étaler devant un micro, sur un plateau de télévision.
Avançant dans le même sujet je lui fis part de ma conviction. Etant donné qu’il faut apprendre de ses erreurs ainsi que de celles des autres, on peut sortir avec qui on veut ; vivre sa vie comme on l’entend certes, mais quand la partenaire n’est pas disposée qu’on cherche ailleurs. En termes clairs si la fille est prête à passer du bon temps tout est permis ou presque alors que si la fille est vierge (peut-être pudique, vertueuse bref non partante) rien n’est permis. Qu’on s’entende bien tout dépend du consentement de la fille si tant est qu’elle soit majeure. Au nom du slogan contre toute violence faite aux filles ou aux femmes.
A ce moment précis une fille la vingtaine révolue, habillée en marron pantalon, haut et chaussures, un peu obèse entra dans la discussion que nous menions. Elle m’indiqua clairement qu’elle n’était pas d’accord avec moi. Voulant m’expliquer, elle ne m’en laissa guére le temps. Elle ajouta :
-C’est facile de condamner Yerim. Et la fille dans tout ça. N’est-ce pas elle qui répondait ou envoyait des « sms » à l’administrateur du site Dakaractu. Attendez ce n’est pas parce qu’on est brillante à l’école qu’on est vertueuse pour autant. Elle a beau être une fille de magistrat, le fait est qu’elle s’est rendue, à l’insu de ses parents, à l’auberge. En sus, si elle n’avait pas paniqué, on n’en serait pas là, personne n’en saurait rien.
Elle renchérit : au Sénégal, il y a une forme d’hypocrisie qui fait que certaines filles soient des lâches, des imposteurs car voulant se faire passer pour ce qu’elle ne sont point, juste pour faire plaisir à leurs parents, qui leur demanderaient de rester intactes, vierges.
Elle soutint : consciente de l’injustice dont était victime CYS, je m’étais promis d’aller chercher un permis de visite pour lui témoigner toute ma compassion.
Sur ce plan nous pensions que Yérim devrait, bel et bien, bénéficier de circonstances atténuantes.
Puisque le débat était ouvert, un vieux d’une cinquantaine d’années nous rejoignit pour indiquer que la question du viol devrait être gérée avec beaucoup plus de lucidité, pour situer les responsabilités respectives de l’accusé et de la plaignante.
M. Ly revient sur la conception occidentale du viol. Il dira : sous d’autres cieux le viol ne désignerait-il pas, tout simplement, un rapport sexuel pour lequel les deux partenaires n’auraient pas débattu auparavant ?
La fille reprit service pour montrer que le vrai problème se situe dans le fait de tabouiser des sujets , quand bien même sensibles mais qui n’en seraient pas moins naturels. L’éducation sexuelle n’est pas prise en compte par les parents. Ces derniers au nom du tabou n’évoquent pas certains sujets devant leurs enfants, parce qu’ils incarneraient une autorité que personne ne leur conteste, d’ailleurs !
Lorsque nous dépassâmes l’immeuble qui abrite la rédaction du quotidien Le Populaire, deux contrôleurs de la société AFTU, montèrent à bord, réclamant par la suite des tickets. Seul hic la polémique enflait ; prés du rond-point Jet d’eau. En effet, l’un des clients assis à l’arrière, à moins d’un mètre du receveur avait plié son ticket sur sa longueur et ne voulait pas le déplier en dépit de l’insistance du contrôleur.
Au même moment, un autre client n’ayant pas pu présenter son ticket à l’autre contrôleur car ne l’ayant pas acheté plus tôt, tentait de persuader ce dernier qu’il venait de monter. Un véritable dialogue de sourd s’installa.
Au « je viens juste de monter », du fautif succédait « Non, ce n’est pas vrai. Tu es monté bien avant moi. Alors qu’attendais-tu pour t’acquitter de ton devoir d’usager » de la part dudit contrôleur.
Arrivés à bon port, nous quittâmes le car devant le vieux cinéma Liberté. Non sans que notre collègue ne donnât une leçon de conduite au receveur : « Qu’ils payent. Il y en a qui devraient être honnêtes dans la vie ; au lieu de se faire humilier dans les espaces publics pour des miettes. »
Chronique 5 : Dans le minibus « Tata ».