Nous étions dans un bus ; nous avions choisi précisément la ligne 6 pour aller en ville. Le voyage se déroula tranquillement jusqu’au moment où un gars assez particulier se fit remarquer. Du haut de ses babouches jaunes, il était en mode jean délavé assorti d’un caftan noir avec une broderie jaune.
Il s’était mis devant le receveur : seule une grille de couleur jaune les séparait. Il attira notre attention en réclamant avec insistance sa carte que le receveur venait de confisquer. Comme ultime recours, il alla voir le chauffeur auquel il expliqua un pan du problème. Le chauffeur lui avait gentiment demandé de retourner sur ses pas négocier avec le receveur.
Les carottes étaient cuites. Conscient du pétrin dans lequel il se trouvait, cet abonné n’eut devant cette situation que ses yeux pour menacer et sa langue pour insulter de mère son ennemi du jour. Autant le dire, dés à présent de la salle des ventes sur l’avenue Lamine Gueye à l’hôpital Principal, il regarda fixement le receveur en le traitant de tous les noms d’oiseaux et en l’invitant à quitter sa cage afin qu’il règle, pour de bon, leur contentieux ; à l’instar des lutteurs. Le receveur savait qu’il avait un pouvoir énorme dans ce genre de situation étant donné qu’il tenait en otage un abonné indiscipliné.
Ainsi, l’abonné qui devait se rendre au centre commercial Touba Sandaga ne pouvait quitter le bus malgré sa demande. Impuissant, il se laissait transporter vers une destination inconnue. Dans le bus, quelques clients lui suggéraient de négocier mais il ne l’entendait pas de cette oreille.
-Négocier ? Non, je vais récupérer ma carte ! Ce receveur ne sait pas de quel bois je me chauffe, nous dit-il.
Avec sa barbichette, nous pensions qu’il était doté d’un pouvoir mystique qui ferait qu’il puisse sceller le sort de ce receveur qui osait s’en prendre à lui. Il n’en était rien car un peu après l’hôpital Principal, il changea de position et regarda dans la direction du chauffeur, méditant sur ses actes qu’il regrettait sans pouvoir l’avouer.
L’atmosphère était grave : la détermination était telle de part et d’autre que nous savions qu’aucune médiation n’était plus possible. Le client était décidé à récupérer vaille que vaille sa carte alors que le receveur avait pris l’option d’un compte rendu.
Au terminus qui se trouve être l’ancien Palais de justice tous les clients descendirent du bus. Nous choisîmes cet instant pour interroger le receveur qui nous fit comprendre que le problème avec cet abonné résidait dans le fait qu’il n’eût pas voulu présenter sa carte une fois dans le bus.
La vérité rien que la vérité : le gars est entré dans le bus et n’a même pas daigné me montrer sa carte. Il est allé se mettre à l’arrière du bus. Au bout de plusieurs minutes, il feignit dormir quand je lui demandai sa carte. Devant son refus manifeste, je l’attendis au tournant. Dieu faisant bien les choses, il me montra ladite carte à quelques mètres de son arrêt. Il avait fait entré sa main dans mon bureau et j’en ai profité pour récupérer sa carte. Ce qui lui a valu cette infortune. Vous l’avez vu m’insulter. Il n’a qu’à assumer.
L’abonné se trouvait dans le bureau de liaison de la société Dakar Dem Dikken train d’expliquer aux responsables sa version des faits. La situation reviendrait à la normale, nous disions-nous. Deux heures après nous revînmes sur les lieux et posâmes la question au chef du bureau pour connaître la suite des faits, celui-ci nous fit comprendre que la carte était acheminé au siège et qu’un compte rendu était déjà fait. Il souligna que le même abonné s’est montré insolent devant nous. Je crains fort qu’il ne soit pas normal. Il a même dit qu’il ne prendrait jamais les bus de Dakar Dem Dikk.
Morale de la chronique : Tout abonné de la société Dakar Dem Dikk doit présenter sa carte au receveur avant de rejoindre sa place. Pour un déplacement apaisé, tous les acteurs doivent faire preuve de retenue.
Une seule question nous préoccupe si le gars pris en otage n'avait pas de sou, que ferait-il ? Une chose est sûre : dans la vie, les actes que nous posons ont des conséquences.
Chronique vingtième