Le 10 juillet 1981, la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) fut créée par la Loi n°81-54 pour compléter la Loi n°81-53 relative à la répression de l’enrichissement illicite dans un contexte particulier marqué par la démission du Premier Président de la République du Sénégal et la désignation de son remplaçant. A peine qu’il fut installé, le nouveau Président, avec une dose d’influence idéologique, initia cette loi pour renforcer sa légitimité et étendre son influence singulièrement sur les barons et autres dignitaires du régime socialiste. Une fois élu à la présidentielle en 1983, il n’eut plus besoin d’user de la cour qui tomba en désuétude avant son abrogation tacite.
Aujourd’hui, cette juridiction d’exception, quoique réactivée, n’a aucunement les moyens de conduire efficacement la traque des biens supposés mal acquis. Combien sont-ils nos compatriotes, tous régimes confondus, qui parviennent toujours à dissimuler, par des procédés de plus en plus sophistiqués, des fonds biens ou mal acquis, vers les paradis fiscaux ?
Certes ces pratiques, qui ne favorisent nullement la croissance de l’économie sénégalaise, sont déplorables et répréhensibles du point de vue de la moralité publique et de la justice sociale. Toutefois, la solution dépend plus du renforcement des corps de contrôle internes et d’une réorganisation du système financier international telle que préconisée par de nombreux experts, tout comme elle est aussi fonction de l’émergence d’un esprit hautement patriotique et d’une conscience citoyenne plus soutenue.
Sans doute est-il vrai que la CREI a la mission indélicate et impossible d’établir qu’une fortune introuvable appartient à un prévenu avant que celui-ci ne prouve la licéité des biens qui lui sont imputés.
Dans le même temps, notre pays, qui est devenu une référence sur le plan de la stabilité démocratique, semble pris en otage depuis quelques mois par une tension permanente pouvant ternir son image.
Vraiment, l’existence de la CREI, cette juridiction désuète, pollue notre climat social. C’est un vieux tesson de verre pouvant rendre infirme chaque lutteur, donc il est judicieux de l’extirper pour sécuriser l’arène politique.
Au fait demeure-t-elle conforme aux principes proclamés dans le préambule de la Constitution de la République de 2001 à savoir : « le respect et la consolidation d'un Etat de droit dans lequel l'Etat et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d'une justice indépendante et impartiale » ?
Devrions-nous continuer à subir les lacunes et faiblesses d’une cour qui a des relents de tribunal politique servant à légaliser une chasse aux sorcières au moment où le Sénégal s’oriente résolument vers la refondation de ses institutions ?
Est-il besoin de rappelait que nous vivons encore sous un régime qui confère des pouvoirs exorbitants au Chef de l’Etat, ce que hier nous avions combattu avec le Président SALL et que lui-même qualifiait de « centralisation excessive des pouvoirs », où il existe toujours « des magistrats sous contrôle » pour paraphraser le Gardes des Sceaux, comme pour avouer que ceux-ci demeurent en dehors du système judiciaire? Dans ce cas, est-on fondé à proclamer « la séparation et l'équilibre des pouvoirs » ?
Voilà la raison pour laquelle, partant de notre nouvelle posture et, par une approche historique, interpellatrice et impartiale, nous avons voulu, dans notre dernière contribution, indiquer le prix à payer pour renouer le fil du dialogue politique si nécessaire à la stabilité politique et sociale de notre patrie.
Parce que ce dialogue politique, reste, sans conteste, bloqué depuis l’installation du nouveau régime par le seul fait de l’exhumation de la CREI qui constitue une entrave à l’exercice du droit de s’opposer en tant que partis politiques à la politique du Gouvernement, tel que édicté par l’article 58, du titre V de la Constitution.
Or, nous avons la forte conviction que ce que le Peuple gagne dans cette traque vaut bien moins que ce qu’il en perd.
Dès lors, il est impératif de trouver une sortie de crise honorable qui puisse nous éviter la persistance d’une tension politique qui risque inévitablement de provoquer une série de violences extrêmes et incalculables.
Pour ce faire, de dignes et crédibles médiateurs devrons y travailler dans l’intérêt exclusif du peuple sénégalais. Cette médiation pourrait être envisagée et menée dans le cadre d’une jonction entre les émissaires des différentes communautés religieuses, des chefs coutumiers et des doyens de la société civile sénégalaise.
Notre pays devra renouer avec la longue tradition de dialogue qui cimente les relations entre ses différentes communautés culturelles et religieuses. Celle-ci témoigne assurément des alternances démocratiques pacifiques déjà connues et symbolisées désormais par le coup de fil du Président sortant passé, en guise d’assurance, au Président nouvellement élu. Et qui ne se rappelle pas de la visite effectuée par le Président A. Wade auprès de la mère de l’ancien Président A. Diouf après sa prise de fonction en 2000 ?
Que de belles images reflétant l’exception sénégalaise, ce peuple de foi, si respectueux, tolérant et solidaire, auquel nous serons toujours fiers d’appartenir tout en restant constamment à la quête d’un même but : l’émergence et le développement durable pour assurer un mieux-vivre et un mieux-être palpable à chaque citoyen.
Il y a trois ans, le peuple souverain, par des procédures démocratiques, a sanctionné un régime et ses dignitaires mais il n’en demeure pas moins que l’Etat se doit de protéger leurs droits et libertés de citoyens garantis par la loi fondamentale.
Sous ce rapport, il y a bien lieu de méditer sur ces dispositions de l’article 7, alinéa 3 de la Constitution : « Le peuple sénégalais reconnaît l'existence des droits de l'homme inviolables et inaliénables comme base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde ».
Ainsi la responsabilité du Chef de l’Etat, garant du fonctionnement régulier des institutions, devient-elle hautement plus importante que celle de tout autre citoyen, dans la préservation de l’unité nationale et de la cohésion nationale et le respect des instruments et principes juridiques universels.
En conséquence, nous demandons solennellement à son Excellence Macky SALL, Président de la République, de prendre lui-même l’initiative en créant les conditions de pacification de l’espace politique et social et en instaurant un dialogue franc, sincère, constructif et dégagé de toute affectivité, pour l’intérêt exclusif de la nation.
En définitive, un verdit d’apaisement permettra de créer un environnement propice au dialogue et à la cohésion nationale sans nuire à la crédibilité de la justice. En effet la justice est rendue au nom du Peuple sénégalais.
Somme toute, il y a lieu d’espérer que les voies de recours prévues par l’article 17 de la loi sur la CREI pourraient conduire l’Auguste Cour Suprême à statuer sur l’incompétence de la CREI ou sur une demande de renvoi d’une juridiction à une autre pour cause de suspicion légitime ou de sureté publique et par conséquent rendre éventuellement une décision se rapprochant de l’une des perspectives dégagée par le Président Wade…
En tout état de cause, la médiation devra se poursuivre afin d’asseoir la concorde et la cohésion nationale plus que jamais indispensables pour préserver la stabilité sociale de notre pays. Cela est d’autant plus utile par ces temps où nos peuples sont en proie aux menaces des extrémistes capables des agressions de toutes sortes pouvant déstabiliser nombres d’Etats.
Par amour à la patrie !
Ndiaga SYLLA Sénégal, le 14 février 2014