« Effacement de l’Enfance » : quand la télévision est pointée du doigt!
Pour attirer l’attention sur les inconvénients de la télévision et les risques auxquels celle-ci expose nos enfants, nous empruntons à l’auteur américain Josua Meyrowitz l’expression, entre guillemets, utilisée dans un article intitulé « l’enfant adulte et l’adulte enfant », in le temps de la réflexion n ° 3 (1985).On aurait pu titrer : Fin de l’enfance… ; nos enfants devant la télé, quand leur développement est menacé, pour lancer un cri de cœur, celui d’un parent dépité, dans l’embarras, très gêné quand il voit ses enfants écouter, discuter de choses qui ne sont pas faites pour des oreilles enfantines.
Il fut un temps où c’est à l’école et auprès de personnes responsables et soucieuses de ce qu’elles devaient enseigner ou parler à leurs protégés qu’on apprenait tout, suivant un programme précis et à des moments propices qui tenaient compte du développement psycho-affectif des élèves. Même, dans l’éducation non formelle ou « informelle » -parce que développée dans le cadre familial, dans les « daaras » ou écoles coraniques et aussi à l’occasion des rites d’initiation-, les principales techniques étaient les contes, les légendes, les devinettes. Souvent, c’est le soir, autour du feu qu’on se retrouvait pour enseigner. Par exemple, les contes pouvaient donner à l’enfant un certain nombre de connaissances pour la maîtrise de son milieu physique mais également un certain nombre de principes moralisateurs. Amadou Hampâté BA, insistait, d’ailleurs, sur l’importance des contes lorsqu’il précisait : « Pour les enfants, les veillées étaient une véritable école vivante car un maître conteur africain ne se limitait pas à narrer des contes. Il était capable également d’enseigner sur de nombreuses autres matières ». (Amkoulel …p.253).
Dans ce système traditionnel d’enseignement, on ne se contentait pas seulement de donner des informations à un enfant d’un groupe d’âge, mais on lui en dissimulait bien d’autres.
Aujourd’hui tout est bien différent : on est bien loin de l’innocence qui caractérisait l’enfance, du prestige des adultes qui arrivaient à dissimuler aux enfants leurs angoisses, leurs doutes et conduites puériles.
Ni contes, ni légendes pour donner sens, apprivoiser les choses et le temps ; ni mots pour calmer l’angoisse, ni œuvres pour briser la solitude ; ni rites pour apprivoiser les passions, ni concepts pour aider à comprendre le monde ; sans histoire à raconter pour exorciser les peurs de nos enfants et sublimer leur colère intérieure, nous avons, ainsi, pense Philippe Meirieu, abandonné, au sein d’un road movie interminable, la plupart de nos enfants. Ils errent dans un univers interlope où les ombres qui les environnent ne leur rappellent plus rien. (Meirieu, Des enfants et des hommes : Littérature et Pédagogie, la promesse de grandir, 1999).
Il ne s’agit pas de faire le procès de la télévision où des écrans parce qu’aujourd’hui, on apprend bien hors les murs : les apprentissages informels jouent un rôle déterminant dans l’acquisition des connaissances, des compétences cognitives et sociales, de l’expérience et de la réflexivité. Par exemple, à travers l’actualité des journaux télévisés, on découvre les paysages et la culture des peuples. Reportages et documentaires sont autant de fenêtres sur le monde. Les jeux vidéos et toute l’application informatique qui va avec, cherchent à susciter l’intérêt et la curiosité, émotions fondamentales pour l’apprentissage. Toutefois, ces jeux vidéos, qui attirent de nombreux jeunes dans les salles installées à proximité des écoles pour capter une clientèle facile, posent de nombreux problèmes : absentéisme, absence de motivation pour la chose scolaire et baisse de niveau sont souvent notés chez les élèves qui fréquentent ces salles de jeux, ces cybers où ils passent du temps à chatter, à vivre leur passion et à partager leur intimité.
Un des risques que représentent ces jeux vidéos est souligné, d’ailleurs, par Fabien FENCUILLET, professeur de psychologie cognitive à l’université Paris X, dans un article, « Serious games : se former en s’amusant ». Cette dernière pense, qu’à l’heure actuelle, les « serious games » semblent très prometteurs pour impliquer les enfants dans leur apprentissage mais encore faut-il que ces logiciels restent véritablement des jeux pour que les utilisateurs en tirent tout le bénéfice possible. (Revue Sciences Humaines, N°257, 2014). De bons jeux adaptés au joueur, pense-t-elle, car si le défi est trop élevé, il provoque de l’anxiété, s’il est trop faible, de l’ennui.
Il faut oser le dire, nos enfants sont informés de tout ce qui se passe dans la vie des adultes : ils s’habillent, s’expriment, se comportent comme ces derniers parce qu’au menu des programmes de la télévision figurent, en bonne place, les questions d’amour, de sexualité, de violence, d’argent ainsi que les problèmes et soucis d’adultes. Le pédopsychiatre, Jean Yves HAYEZ, professeur émérite à l’université de Louvain en Belgique, s’interrogeait, dans un ouvrage sur la sexualité des enfants (Odile Jacob, 2004) qu’avec Internet et la télévision aidant, jamais les enfants n’ont eu un aperçu aussi précoce de la sexualité. Faut-il sen inquiéter ou faut-il tolérer ?
Nous parents, dans les pays sous développés envahis d’images satellitaires et sans aucun moyen de contrôle parental, parce que « analphabètes contemporains », nous ne pouvons que nous inquiéter.
Dans nos maisons, on ne fait que regarder la télévision : les séries des telenovas, on ne peut plus compter leur nombre, le nombre de fois qu’ils sont diffusés et rediffusés. Et forcément, la promiscuité dans nos maisons, l’absence d’espace privé pour les parents, font que nous partageons tout avec nos enfants, un même champ dont celui de la télévision. Ainsi, l’enfant et l’adulte ont appris à se connaître : chacun en sait trop long sur l’autre pour continuer à jouer la comédie classique de l’innocent opposé à l’omniscient, rappelle Josua Meyrowitz.
Nos pauvres et vulnérables enfants sont laissés à eux-mêmes, obligés de faire face à leur avenir et de vivre les problèmes et soucis des adultes.
Nos enfants, victimes de l’économie marchande, soumis à l’harcèlement publicitaire de la télévision, vivent sans cesse des frustrations : les parents ne peuvent pas toujours accéder à leur demande. Friands de nouveaux produits plus que les adultes, en proie au mirage publicitaire, ils ne sont pas des consommateurs compétents, critiques. Tout ce qu’ils entendent ou voient (l’image vaut mille mots) peut bien altérer leur développement.
Et c’est dommage de constater que, dans la production et la diffusion des programmes, on ne tient point compte de la fragilité des enfants, tentés d’imiter des personnages qui, dans des téléfilms surtout à la sénégalaise où auteurs et protagonistes, ne sont pas des exemples à montrer à nos enfants.
Le défunt Cheikh Tidiane Diop, de la mythique troupe Daraay kocc doit bien se retourner dans sa tombe au vu de ce qui est servi dans les téléfilms, dont la pornographie dans la chaîne nigérienne Nollywood à laquelle ont accès nos enfants via les branchements frauduleux des réseaux.
Dans Hapiness sur la Sen Tv, Un café avec, Dinama nekh, Double vie sur la TFM, des séries télévisées, où la roublardise est érigée en principe d’action, calomnie, flatterie, trahison et autres maux sont légitimés parce qu’on ne respecte plus guère que les dotés de moyens ; les flatteurs vivant aux dépens des flattés consentants ou gênés : on n’est plus aîné que par la poche, l’âge ne comptant plus ; ceux qui donnent ordonnent et ceux qui ont sont. Le personnage Daro, une insolente et effrontée femme, ainsi que sa complice Maïmouna, dans leurs rôles incarnent la putasserie, l’arrogance ; Alioune Mbaye lui, est, dans son rôle, un maquereau, un proxénète.
Les mêmes appréciations, on peut les porter sur les filles et le garçon qui jouent dans la série Hapiness de Sen Tv. Dans la série Double vie où l’animateur Pape Cheikh Diallo est mis en vedette, Bijou N’diaye, escroc dans son rôle, raconte à sa copine comment elle a aidé Alain à blanchir de l’argent volé avant de quitter la France où elle avait séjourné en tant qu’étudiante.
Dans la série, Un café avec, dont l’auteur n’est personne d’autre que Cheikh Yerim Seck, très suivie par les enfants, on fait beaucoup allusion à la violence : un Gora-tueur est entrain d’abuser de la naïveté d’une jeune fille, de l’hospitalité de son patron, notamment Thierno Diallo un gangster et mari infidèle. Si on parlait de Boub’s et de son ami Milkzo, nous pouvons tous voir en eux des fainéants et parasites accrochés à une femme qui ment sur l’origine de sa fortune supposée. Et beaucoup de jeunes, qui rêvent d’entrer dans les grâces d’une femme fortunée pour être entretenus gratuitement, peuvent penser que c’est possible.
On ne mesure pas souvent l’impact de ces rôles, lorsqu’on met en avant des réalités et valeurs outre atlantiques, sur le comportement des enfants ; à quel point ils arrivent à idolâtrer ces vedettes du petit écran. D’ailleurs, récemment lors de l’antenne décentralisée à Ziguinchor du groupe futur médias, Boub’s était entouré d’enfants qui lui demandaient des nouvelles d’Ina ; des enfants âgés de six ans qui avaient compris que si l’ancienne miss de la Gambie appelle Boubs, « My Bou », c’est parce qu’elle est amoureuse de lui. Des enfants qui ne font pas la différence entre ce qui est théâtralisé et ce qui est réel ; et surtout quand ce sont des contacts charnels qui sont visualisés.
Par ailleurs, l’émission « Sen petit galé » diffusée par la TFM a tout l’air d’une arnaque : non seulement on expose nos enfants comme des bêtes de foire mais on les torture : on leur fait subir une pression, celle de la compétition, de l’attente stressante de résultats. Et on les exploite, on les fait travailler, sous le couvert de prétendues émissions ludiques sans aucune portée éducative : la manne financière ramassée à leur nom, on n’en parle pas.
Nous tenions juste, en dénonçant, à plaider, tel un Doltoiste (Françoise Dolto), la cause des enfants et à attirer l’attention des parents dont la responsabilité est engagée, mais surtout celle de l’Etat, dont une des missions est de veiller aux bonnes mœurs. Et rien n’est fait pour protéger nos enfants contre cette perversion orchestrée des médias, dont la télévision. La Commission Nationale de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) est interpellée : elle manque de vigilance et pourtant c’est dans son rôle que de veiller aux bonnes mœurs, de participer aux efforts et à l’engagement de l’État du Sénégal décliné dans la Stratégie Nationale de Protection de l’Enfance (SNPE). Et dans la stratégie, la protection comme la prévention occupent des places essentielles : elles interrogent les conséquences des chocs, dont émotionnels, dans les courts, moyens et longs termes, adoptant ainsi une approche de cycle de vie de l’enfant où chaque âge présente des contraintes et opportunités différentes. L’enfant qui, pour encore rappeler l’importance des premières années de la vie dans la formation de notre personnalité, « est le père l’homme » pensait Freud lorsqu’il paraphrasait le poète britannique Wordsworth.
Bira Sall Professeur de Philosophie au lycée de Tivaouane. Spécialiste Suivi Programmes Petite Enfance. sallbira@yahoo.fr