ÉTAIT-CE, DONC, TON MESSAGE D’ADIEU, NDUKUR ?
Grand Ndukur, ton départ de cette terre me laisse dans un silence profond, mais bruissant de questions sur le caractère cruel et imprévisible de la vie, sur la fragilité de notre existence qui, telle la légende de l’épée de Damoclès, ne tiendrait qu’à un crin de cheval.
Alors que je n’avais pas fini de sécher mes larmes, suite au rappel à Dieu d’un autre ami, Dr. Victor Djifane SAMBOU, un homme affable, d’une profonde sympathie et d’une grande rigueur professionnelle que j’ai eu la joie de connaître et de pratiquer dans mes fonctions de Gouverneur de la région de Sédhiou.
Alors que suite à ce décès, je m’étais imposé un silence méditatif sur la vanité de notre existence faite de glaise..ta mort est venue, tel un vent violent, me projeter, avec fracas, hors de ce vase.
Ton message vocal du lundi 2 septembre que tu m’as envoyé, à 7h34mn, dans lequel tu évoquais notre prochaine rencontre à Oussouye résonne encore dans mon esprit.
Je t’attendais là, pendant que tu étais à Diannah, dans le Kafountine, me promettant de faire un tour à Oussouye avant ton départ pour Dakar.
Mais, hélas…
Cette rencontre que la vie cruelle et imprévisible ne nous a pas permis de réaliser, prend les allures d’une conversation inachevée qui va, désormais, s’étirer dans l’éternité, telle une promesse qui ne trouvera pas sa conclusion ici-bas.
Était-ce ta manière de dire au revoir, de dire adieu, de détourner mon attention sur la dernière phase de ton pèlerinage terrestre qui te conduisit auprès des tiens à Dakar pour y rendre ton dernier souffle ?
A dire vrai, je ne réalise point ou je refuse plutôt d’admettre le sort cruel qui a empêché cette dernière entrevue.
Ndukur, tu étais pour moi bien plus qu’un ami, tu étais un grand frère, un confident.
On se consultait régulièrement sur tant de questions.
Depuis notre connaissance et dès nos premiers échanges, une estime, un respect et une sympathie réciproques se sont tissés et ont solidement noué, depuis, nos relations.
Tu me fis l’honneur d’être l’un des parrains de la 2e édition du Festival des Cultures Joola.
En vérité, cette manifestation culturelle ne reflétait qu’une de tes multiples facettes.
Tu étais, en effet, un bâtisseur de ponts entre les cultures et les différentes communautés, un gardien attentif du patrimoine, un amoureux inlassable de la beauté du monde culturel et de ses diversités.
Ton profil et ton parcours d’anthropologue, d’universitaire et de chercheur t’y prédisposaient, mais en vérité une fibre culturelle vibrait, en permanence, en toi et irriguait chacune de tes actions.
Que de chemins n’as-tu emprunté, que de routes n’as-tu parcouru, que de personnes n’as-tu rencontré, le tout dans ta soif insatiable et ton désir inextinguible de savoir.
Tu auras parcouru la Casamance et le Kassa en particulier dans ta quête de connaissances nouvelles, rencontrant rois, prêtres, imams, autorités administratives, élus locaux, femmes, jeunes, forces de défense et de sécurité, membres du MFDC, et j’en passe..
J’eus le privilège de partager une partie de cette odyssée avec toi, me menant jusqu’à Karouhaye, aux sources de la royauté des terroirs du Kassa.
Dans ces différentes rencontres, dans chaque échange, tu as su offrir ce qui est le plus rare : l'écoute attentive, la profondeur du respect mutuel et cette lumière qui émanait de ton engagement inébranlable pour la promotion de la culture et de la paix, notamment dans cette partie du pays, profondément impactée par plus de quatre décennies de conflit armé.
Ton combat pour le déminage, le retour des populations de Santhiaba Manjack à leur terroir et la réouverture du Parc national de Basse Casamance reflétait, au-delà de l’importance socio-économique de telles actions pour les populations locales et le développement territorial, ton profond humanisme.
En chercheur et universitaire chevronné, épris de rigueur scientifique, tu avais cette rare capacité de mêler exigence intellectuelle et ouverture d’esprit.
Dans un monde, parfois trop prompt à oublier la valeur et la profondeur de la nuance, trop enclin au conformisme et au panurgisme intellectuel, tu étais un phare de sagesse et tu rappelais à chacun la richesse infinie de l’altérité et de la diversité d’opinion.
Tu étais un pur iconoclaste, provocateur à souhait, te soustrayant des sentiers battus, mais tu n’en étais pas moins perméable à la critique, à la contradiction parfois bien acerbe et même désobligeante.
Je ne saurais tout dire de toi, car je n’en connais qu’un bout comme en atteste le florilège de témoignages sur la toile depuis ton rappel à Dieu.
Mais, je veux te rendre hommage pour chaque pas que tu as fait, pour chaque parole prononcée, pour tout acte posé, pour tout écrit partagé dans le but de ramener la paix et la concorde en Casamance, notamment dans mon Kassa natal.
Hier, samedi 7 septembre, notre compagnonnage sur terre a pris fin, à Cambérene, devant une foule immense t’accompagnant à ta dernière demeure.
Ce n’est point un adieu, cher ami, c’est une continuité car une nouvelle page s’ouvre, un nouveau chapitre s’écrit.
Il sera plus long, transcendant des générations.
Oui Ndukur, ton esprit vivra dans les idées que tu as semées, dans les projets que tu as initiés et dans nos cœurs à jamais marqués par ta présence lumineuse car « si le grain ne meurt en terre, il ne portera pas de fruit ».
Repose en paix, cher ami.
Avec toute mon affection et ma gratitude.
PS : ton chapeau torpédo que tu avais « oublié » chez moi et que je devais te remettre lors de notre rencontre avortée d’Oussouye, me permets-tu de le garder en souvenir de notre amitié ?
Habib Léon Ndiaye
Ancien Gouverneur de Sédhiou