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La presse à sensation

De Jean Guyau

Les journaux veulent plaire. Ils veulent donc publier les articles que le lecteur désire lire. Or, ce lecteur n'est pas naturellement porté vers l'effort intellectuel. Il préfère absorber un aliment qu'il n'aura aucune peine à assimiler, même si cet aliment ne le nourrit pas, même s'il ne lui apporte aucune des "vitamines intellectuelles" ou des " calories culturelles" qui devraient constituer son repas quotidien.
Il n'y a pas tellement d'années, les journalistes avaient pour objectif la défense de certaines idées. Ils voulaient, avant tout, informer et former l'opinion. L'informer loyalement et la former intelligemment. Tandis qu'aujourd'hui, les journaux-beaucoup d'entre eux en tout cas- ont renoncé à précéder l'opinion : ils préfèrent la suivre. Puisqu'elle demande des nourritures sans consistance, eh bien, on lui donnera des nourritures sans consistance !
C'est ainsi qu'est née la presse à sensation.
Afin de plaire à une clientèle portée à la paresse intellectuelle, on a commencé par faire du fait divers une rubrique "noble".
Et l'on s'est aperçu que ce culte du fait divers donnait d'heureux résultats commerciaux. On est ainsi entré dans un cycle vicieux : le lecteur demande du fait divers, on lui en donne, et on lui en donne de plus en plus. On recherche même le fait divers scandaleux : le "sang à la une" est une formule qui a fait ses preuves et qui n'a pas fini de faire du mal. On recherche le fait divers à scandale, et s'il ne se présente pas, on lui en fournit. On tripote l'évènement, on donne un coup de pouce à la réalité, on falsifie la réalité, on met en évidence dans le titre ou dans le premier paragraphe- celui qui doit accrocher le lecteur- un détail absolument sans importance, peut-être même inexact, mais qui aura joué son rôle : celui de parler à l'imagination.
Jean Guyau, La pensée et les hommes.

29/11/2016

Date de dernière mise à jour : mardi 29 novembre 2016

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