La marche galopante des techniques a eu pour premier résultat de multiplier dans d’énormes proportions aussi bien la masse des nouvelles qui circulent que les occasions d’être sollicité par elles. Les professionnels ont tendance à considérer cette inflation comme automatiquement favorable au public, parce qu’ils en tirent eux-mêmes profit et restent obnubilés1 par l’image libérale du grand marché où chacun, doté de lumières par définition égales, peut faire son choix en toute indépendance. Cela n’a jamais été réalisé et l’est de moins en moins. En fait les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, même s’ils s’abandonnent à leur boulimie2, ne sont pas réellement nourris par cette indigeste soupe d’informations, et leur gavage aboutit à une frustration. De plus en plus souvent même, ils ressentent ce bombardement de richesses frelatées comme agressif et se réfugient dans la résistance à toute information. Le vrai problème des sociétés post-industrielles- en ce domaine comme en bien d’autres- n’est pas la pénurie, mais l’abondance. Ou, plus exactement, il résulte d’une dysharmonie entre une offre non pas excessive, mais incohérente et une demande qui, confusément, réclame un choix beaucoup plus qualitatif.
Submergé par le flot ininterrompu des nouvelles qui se bousculent en désordre et souvent paraissent se contredire, noyé sous l’abondance des détails, déconcentré par des méthodes journalistiques dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elles sont souvent cavalières, le public s’oriente de plus en plus difficilement au sein d’un maelstrom3 qui lui donne le tournis. En même temps, les gens informés dans leur spécialité (de plus en plus nombreux) constatent que les erreurs de la presse sont directement proportionnelles à sa prétention de trancher de tout. C’est le cas de parler d’une insuffisance qui n’a d’égale que sa suffisance. Alors on hausse les épaules, on s’esclaffe, on tend à généraliser des défauts qui sont sans doute réels mais deviennent un alibi commode pour le mol oreiller du doute ou le refus de regarder en face ce qui gêne.
La pente sera, de part et d’autre, difficile à remonter. Du côté des journaux, il n’y a que trois remèdes qui, d’ailleurs, sont en relations étroites : la rigueur, la spécialisation, l’explication. Certes il est difficile d’opérer la sélection des nouvelles et, nous l’avons vu, ce peut être l’occasion et le moyen d’une mauvaise foi plus ou moins dissimulée. Pourtant les organes d’information doivent choisir, et c’est même pour cela qu’ils existent : sinon il suffirait de faire défiler en vrac les nouvelles des agences qui, d’ailleurs, sont elles-mêmes contraintes au choix. C’est une dangereuse facilité que d’augmenter indéfiniment le nombre des pages et prétendre tout donner, sous prétexte d’honnêteté, alors que nos contemporains pressés, désorientés, recherchent exactement le contraire : le succès des news-magazines4 est là pour le démontrer. On réclame une ligne directrice, un classement plus clair, un condensé de ce qui est réellement important.
1- Obnubilés : ici, au sens de « obsédés ».
2- Boulimie : faim dévorante.
3- Maelström : tourbillon
4- News –magazines : périodique largement diffusé où les différentes informations sont regroupées par rubriques.
Bernand Voyenne, l’information aujourd’hui