Violences scolaires : Quelles responsabilités pour les enseignants ?
Ce que Kant disait de Hume qui l’aurait « réveillé de son sommeil dogmatique » nous pouvons le dire en tant qu’enseignant, à la suite de la lecture de l’article de Jacques Fortin dont nous reprenons ici l’essentiel des idées, pour juste attirer l’attention des collègues sur un problème auquel ils n’ont pas manqué d’être confronté.
Il est vrai que le public n’est pas le même, les réalités des écoles différent mais personne ne va nier l’actualité de la question ici et ailleurs : L’auteur dans son article, Formation des enseignants à la prévention des situations de violence Problématique. Propositions,dans son analyse part d’une étude sur les enseignants de l’Académie de Lille en France mais le problème soulevé, notamment la violence scolaire, reste un problème mondial, les propositions pour la prévenir sont tellement pertinentes que nous sommes tous interpellés.
En tout cas, en France depuis deux décennies la violence des jeunes dans les établissements scolaires est devenue une question de société : les actes de violences scolaires sont répertoriés par un observatoire qui les analyse et des plans anti violence ont été mis en avant.
Qu’on ne me dise pas que ce que les anglo-saxons désignent par le « schoolbullying » c’est-à-dire un harcèlement fait de brutalités, d’insultes quotidiennes d’une suite continue de ce que l’on nomme aussi des « micro violences » est une affaire du monde des « toubabs » caractérisé par un désenchantement... D’ailleurs, pour être honnêtes, on peut dire que nous avons tous été témoins ou victimes de violences scolaires parce que nous avons été à l’école ou nous continuons à violenter nos élèves parce que nous sommes devenus enseignants.
Il se pourrait aussi que tous les élèves du Sénégal soient ou aient été victimes de violence. En effet, les violences subies sont nombreuses : injustices présentes ou passées ; maltraitances familiales. Et à coté il y a la violence sournoise, symbolique de l’école, la violence institutionnelle celle dont parlent Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron. Pour ces deux sociologues de l’éducation : L’école est devenue une « machine à exclure » injuste et brutale. C’est ainsi que les élèves ne font que riposter par leur violence, à l’arbitraire des contenus imposés, des notes, des sanctions et au déficit d’écoute et de dialogue qui caractérise l’école. C’est dans cette perspective qu’il faudra situer l’analyse et les propositions de Jacques Fortin.
Jacques Fortin est président de l’université d’été euro-méditerranéenne et auteur de nombreuses publications sur la violence dont : Violence à l’école sensibilisation, prévention, répression (juin 2000), Mieux vivre ensemble dès l’école maternelle ( Hachette 2000).
Des préoccupations pas loin de celles abordées dans son article puisqu’il y est question de la formation des enseignants pour prévenir la violence à l’école.
Il part d’un constat : les demandes de formation dans le milieu scolaire, malgré l’actualité et la médiatisation du problème de la violence scolaire, sont faibles.
Pour illustrer cela, il part de données dans l’académie de Lille (200 demandes sur une population de 31000 professeurs et chefs d’établissements). Une demande dérisoire si l’on sait que dans l’académie de Lille, la plupart des collèges sont dans des milieux à risque.
L’auteur ne s’en tient pas à ce constat mais préconise des solutions, lesquelles sont en phase avec les politiques de prévention de la violence scolaire. En effet, on peut rappeler, une volonté affichée des autorités françaises à prévenir les violences scolaires : Du plan Lang aux états généraux de la sécurité à l’école en avril 2010, en passant par le plan Allègre, le nouveau plan de 2000 et le plan Bayrou entre autres.
Ce dernier, d’ailleurs, dans ses stratégies de prévention, interpellait particulièrement la communauté éducative sur la nécessité d’améliorer l’environnement scolaire, de renforcer les rapports.
C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire l’article de Jacques Fortin qui prône la formation des enseignants à la prévention des situations de violence dans son article d’une dizaine de pages ( 194- 214) qu’on retrouve dans la troisième partie d’un recueil d’articles publié sous la direction de Caroline Rey, dans un ouvrage collectif sous la direction de Caroline Rey, Les Adolescents Face à la Violence, SYROS, Paris, 1996
Jacques Fortin commence par expliquer le peu d’intérêt que les enseignants ont pour la formation dans la prévention des violences scolaires en avançant des hypothèses comme : la peur des enseignants d’aborder la question ou d’en parler pour ne pas se culpabiliser, leur souhait de se faire muter, l’inefficacité de la formation ou peut-être le fait qu’ils s’estiment suffisamment outillés pour faire face au problème.
Pourtant le risque d’être confronté à la violence pour la plupart de ces enseignants est réel. Mais avant de nous parler des moyens de prévention, J. Fortin se préoccupe d’identifier l’objet de prévention selon que les facteurs se situent à l’intérieur de l’école ou à l’extérieur. C’est ce qu’il dénomme par « violence exogène » ou « violence endogène ».
La violence exogène renvoie à des éléments extérieurs qui viennent envahir l’établissement ; surtout quand l’école est considérée comme un sanctuaire, toute intrusion relèverait de la violence. Le cas, par exemple d’anciens, élèves renvoyés pour mauvais résultats scolaires. Cette violence importée se manifeste par l’agression physique, les injures ou les bagarres. La violence reste, ainsi, l’expression des frustrations. D’ailleurs, une étude, rappelle l’auteur, réalisée dans un lycée professionnelle qui illustre bien cela puisque 80% des interrogés considéraient la violence comme la seule alternative pour se faire respecter et obtenir ce que l’on veut. On note ainsi toute une fierté pour ces jeunes à user de la violence.
Une telle image valorisante de la violence trouve sa source, ses explications dans l’environnement, le reflet « du modèle présenté par les adultes » d’une part et l’école parallèle, « les mass-médias », « les jeux vidéo », « le film », d’autre part à cause de leur influence.
En outre, toujours en rapport avec cette violence exogène, J. Fortin rappelle que la maltraitance, dont les élèves sont victimes dans leur environnement familial, se traduit par des réactions à l’endroit de leurs condisciples ou des enseignants.
Qui plus est, les enseignants sont confrontés à des parents qui viennent plaider la cause de leur progéniture, n’hésitant pas à contester les méthodes, les notes, les punitions et même, malgré leur carence éducative, les choix et méthodes pédagogiques.
Pour dire ainsi que la violence est une manière d’exprimer tout ce qui ne va pas : malaise, malentendu, souffrance…
Par ailleurs, si cette violence exogène ou « importée », est reconnue officiellement, ce n’est pas vraiment le cas pour la violence endogène, celle qu’on retrouve dans l’institution. Pourtant des études, dont fait cas ici J. Fortin, renseignent sur l’usage de la violence à l’école : « 52% des élèves de Cm2 reconnaissent avoir eu les cheveux ou les oreilles tirés, 44% des enseignants disent avoir vu donner des fessées, même s’ils ne sont que 19% a en avoir donné». Ces châtiments corporels sont, quand même, absents dans le moyen- secondaire où il y a plutôt récriminations, « perte de contrôle de soi », lesquelles portent un coup dur à l’autorité du professeur, choquent les élèves, entrainent souvent des échanges verbaux très vifs et des tensions extrêmes.
Des manifestations, moins visibles, sont rappelées avec insistance par l’auteur pour qui l’échec est très mal vécu par les élèves. Mais cet échec, qui « n’est pas celui de l’élève mais celui du système » pour reprendre Albert Jacquard entraine la négation de soi, un sentiment d’aversion non seulement vis-à-vis de l’école mais de la société.
En outre, certaines remarques ou appréciations verbales comme orales, dont la plus courante, c’est « t’es nul » laissent deux choix aux élèves : soit la soumission et une mauvaise image de soi, soit la révolte, l’affrontement. Il faut toutefois reconnaitre que les enseignants n’ont pas une claire conscience des conséquences de leurs appréciations ni les mêmes motivations.
Il s’y ajoute, à cause d’une sélection élitiste, de l’effet pygmalion encore à l’ordre dés fois, enseignants et élèves sont souvent frustrés, perturbés et démotivés. Comme les rapports interpersonnels sont souvent source de conflits car l’esprit d’équipe fait défaut, faute de dialogue dans les établissements où on ne parle pas toujours le même langage.
Apparemment, l’école, ne jouant plus le rôle d’ascension sociale, est facteur de stress pour les familles et un objet de tensions avec les représentants de l’institution.
Pour prévenir la violence, on ne saurait donc la nier.
Après avoir précisé l’objet de la prévention, la réalité de la violence scolaire et ses caractéristiques multifactorielles, l’auteur envisage quelques principes éducatifs pour outiller et aider les enseignants à faire face aux situations de violence.
Et tout commence dans la classe où l’auteur insiste sur la relation interpersonnelle, sur le respect que l’enseignant doit vouer aux enseignés, des partenaires de la relation pédagogique. D’ailleurs, pour se faire respecter, l’enseignant doit commencer par respecter la personne, les choix de ses élèves, se garder de tout jugement de valeur, faire preuve de justice, garder sa sérénité, son calme...
Fortin, insiste encore sur une autre recommandation savoir désamorcer : il s’agit pour l’enseignant d’être vigilants, d’anticiper sur les problèmes ne pas jouer à la politique de l’autruche, installer un climat convivial, favorable à la discussion avec une gestion juste et rigoureuse des sanctions.
Il s’y ajoute que la sécurité des enseignants dans l’établissement, leur intégration, surtout celle des débutants sont essentielles car la peur, le manque de confiance en soi ne sont pas pour rassurer les élèves. Un bonne politique de communication s’avère, ainsi, nécessaire. Ce sera avec des textes, un règlement intérieur objet « d’un travail partenarial » impliquant tous les acteurs.
C’est seulement, sous ces conditions que les enseignants, chefs d’établissement et élèves pourraient se retrouver dans les textes, accepter les sanctions sans rechigner.
Une autre alternative préconisée consisterait à mettre en place des structures qui permettraient aux enfants de décharger leurs tensions psychologiques et musculaires. Des salles de musculation, par exemple, à des jeunes dits violents où des activités pour se défouler, comme le rap, la danse, le théâtre.
S’il y a une préoccupation majeure pour tous sur laquelle Fortin insiste c’est celle d’éduquer. Sa conviction est qu’il ne s’agit pas seulement de dénoncer mais d’éduquer et en s’y prenant tôt dès l’élémentaire afin de parer à des comportements agressifs qui pourraient tenter les élèves face à la violence subie. Il prend d’ailleurs exemple sur la fécondité d’une expérience québécoise en classe de cm2.
Des compétences sociales doivent être cultivées auprès des jeunes et dans une parfaite cohérence entre ce que l’on dit et ce qui est donné par l’école.
Un tel programme alternatif passe par une formation des enseignants sur tous les plans, personnel comme relationnel, en passant par une formation initiale complétée par une formation continue. Il est pour une approche concrète, laquelle nécessite déjà dans le cadre de la formation initiale « non seulement une connaissance théorique des problèmes qui peuvent se poser à l’enseignant mais aussi une mise en pratique des situations, dans le cadre d’une formation continue », pour aider enseignants et enseignés à maitriser leurs émotions, à ne pas s’enfermer dans un « statut de violent », à s’ouvrir aux autres pour favoriser la communication dans l’établissement, une véritable vie scolaire.
En guise de conclusion, Jacques Fortin préconise un dialogue fructueux qui passe par la réduction de la distance culturelle « porteuse de violence » entre enseignants et enseignés.
Ces derniers, « des êtres en devenir » ont besoin d’être compris et aidés. Les enseignants, quant à eux, doivent croire en leurs élèves et comprendre que chacun de ces derniers est porteur d’espoir et a bien sa place dans la classe.
La responsabilité des enseignants est réelle comme l’école, aussi, a un rôle à jouer dans la prévention de la violence mais il faut, pour autant, que « la société soit moins démagogique sur ce qu’elle attend de l’école, sur sa mission éducative ».Cela aiderait les enseignants à mieux faire face à leurs responsabilités dans une école qui aura pour vocation d’aider les élèves à avoir une formation, « des compétences éco sociales » pour faire face à leur futur.
On ne peut plus, ainsi, face aux défis de l’école nouvelle, au nouveau du public hétérogène des écoles, se contenter des formations traditionnelles, ni d’un enseignant érudit. Surtout que pour Fortin, tout le monde n’est pas fait pour être enseignant et « particulièrement pour enseigner à des élèves en difficultés ».
Pour terminer, il pense que le nouveau profil à promouvoir, à former serait un enseignant capable et confiant en sa capacité à gérer cette hétérogénéité, « à pouvoir, à décoder un langage et des attitudes et à détourner l’agressivité latente ».
Bref, La solution, pour redorer le blason, serait de reconnaitre le nouveau public de l’école caractérisé par son hétérogénéité, tenir compte dans le milieu scolaire des « éléments dispositionnels et situationnels ».
Seulement, la formation pratique initiale des enseignants est peu développée et celle continue rare. C’est d’ailleurs ce que rappelle, Sylvain Broccolochi qui a coordonné l’ouvrage intitulé École : Les pièges de la concurrence comprendre le déclin de l’école française, aux éditions de la découverte en 2010.
On lit à la page 259 de ce texte : « si les modèles anciens de professionnalité enseignante ont été invalidés car jugés peu conformes avec les attentes actuelles de l’institution, ils n’ont en revanche pas été remplacés par de nouveaux modèles suffisamment stabilisés et faisant consensus(…) Les enseignants s’interrogent ainsi sur la nature des bonnes pratiques en matières d’enseignement ; doivent-ils se centrer sur les savoirs ou sur la sphère relationnelle ».
Tout l’intérêt des propositions de l’auteur réside dans la nécessité de préparer les enseignants à la communication, à la gestion dans la classe des relations pour un climat moins délétère où l’élève retrouvera sa place et donnera un sens à ses études.
Bira SALL
Professeur de Philosophie au Lycée de Thiaroye
Etudiant en Master 2 professionnel « Coopération Internationale en Education et Formation »
Université Paris 5
sallbira@yahoo.fr