Pour lancer cette nouvelle rubrique dénommée Analyse lucide, nous vous proposons le regard de Monsieur Mohamed Seck sur une thématique toujours actuelle sous nos cieux : l'agriculture. L'heure est au bilan aprés la médiatisation du plan REVA et de la GOANA. La Loi d'Orientation Agro Sylvo Pastorale décriée par des éleveurs ces derniers temps est aussi évoquée dans son texte. Monsieur Seck porte sa casquette de paysan pour décrypter en toute lucidité ce domaine qui devra relancer l'économie sénégalaise. Bonne lecture.
Pourquoi l’agriculture sénégalaise ne décolle pas ?
La population sénégalaise est essentiellement rurale. Ainsi pour prés de 70%, l’agriculture, au sens large du terme, est la principale activité. Seulement, les difficultés d’accès au crédit, les aléas climatiques, la baisse des rendements, l’écoulement de la production sont autant de difficultés qui obligent la jeunesse à s’adonner à l’exode vers les villes. Dans un tel contexte plusieurs questions s’imposent à nous, parmi celles-ci : Comment doivent agir les dirigeants pour un retour vers l’agriculture ? Quelles mesures pour atteindre la sécurité alimentaire ?
Après une série de plans pour le développement de l’agriculture mis en oeuvre depuis l’indépendance, le Sénégal s’est doté d’une Loi d’orientation Agro-Sylvo-Pastorale ( L.O.A.S.P 2004-2024) pour rendre plus performante ces différentes filières.
En effet, l’agriculture est en relation avec la climatologie, la pédologie, la recherche, l’économie, la mécanique, la sociologie, l’agroalimentaire, etc. De plus, avec le NEPAD, notre pays s’est engagé à réserver 15% de son budget à l’agriculture (à l’image du Niger et du Burkina Faso).
Au Sénégal, force est de reconnaitre que l’agriculture n’est pas une priorité pour nos décideurs. L’essentiel des investissements permet surtout de promouvoir le secteur tertiaire (Port de Dakar, autoroutes, etc.) ; 4,87% du budget national est alloué à l’agriculture, et seulement 2,5 dudit budget, effectivement consacrés à ce secteur en 2010, selon le CONGAD…
Certes, sous le régime de Wade de grands pas ont été faits dans le bon sens (exemple de la LOASP et des fermes du plan REVA) mais d’autres initiatives n’ont pas eu l’effet escompté. Il s’agit surtout des programmes annuels comme celui du maïs. Ces échecs sont dus à une marginalisation des techniciens au profit de bureaucrates sans réelles connaissances du terrain, un manque de moyens, un non respect du calendrier cultural, une mauvaise préparation à la commercialisation, ou encore une idée simpliste de l’agriculture.
L’agriculture sous pluie est la plus pratiquée dans le monde rural. Or, la saison des pluies durent 3 à 4 mois (de juin-juillet à septembre). Et puis, ce n’est qu’au mois d’avril que se déroulent généralement les conseils interministériels pour la préparation de la saison. Logiquement on peut se demander si, dans ce délai assez court, le producteur pourra disposer de ses intrants nécessaires avant que les pluies ne commencent ? Non. La réponse coule de source ! De plus la baisse de la pluviométrie associée aux retards sur le semis ou plus généralement le déroulement du calendrier cultural ont pour conséquence des rendements médiocres. Dans de telles conditions, il n’est pas possible de faire vivre la famille et de subvenir à ses besoins financiers durant tout le reste de l’année.
En somme, nous disposons de plans ambitieux dont la réalisation pose problème. Nous notons cependant que des initiatives sont prises pour corriger la donne.
L’évidence est que les populations migrent toujours vers les contrées leur apportant de meilleures conditions de vie. Dans notre contexte africain, le terroir rural est souvent enclavé et rendant par conséquent difficile l’accès aux services primaires. L’exode rural peut donc être ralenti voire freiner si les structures de santé, de développement et d’autres services sont décentralisés. Contrairement aux pays développés, dans nos pays sahéliens le statut de l’exploitant agricole n’est pas bien défini. Tout homme issu des campagnes se dit agriculteur. La différence entre ce dernier et le paysan reste flou. La catégorisation et un statut juridique pour tous les intervenants dans l’activité agricole permettraient à l’avenir d’orienter des politiques précises. En plus de la professionnalisation, l’éducation doit prendre une nouvelle dimension. Une multiplication des instituts de formation ainsi que le recyclage feraient à tous les jeunes désœuvrés et les analphabètes désirant se spécialiser dans le domaine d’avoir les pré-requis techniques nécessaires pour mener à bien leurs exploitations. Ce retour vers l’agriculture comme l’avait théorisé en son temps le Président Wade nécessite aussi des
La réforme doit être quantitative et qualitative. Elle sera d’abord orientée sur l’éducation des masses. Une augmentation du soutien à l’enseignement technique, une organisation des filières par un accompagnement des organisations paysannes, le financement de la recherche et l’indentification d’objectifs à atteindre à court, moyen et long terme. Elle sera juridique puisque un statut bien défini devra être accordé à chaque intervenant du secteur. Elle sera aussi technique puisque le facteur limitant en agriculture est l’eau. La culture irriguée doit être généralisée. En outre, une disponibilité des engrais par une reprise en main du capital des Industries Chimiques du Sénégal garantirait l’augmentation de la production. Enfin, il ne faut pas oublier le secteur de la transformation. Elle est très importante pour la valeur ajoutée qu’elle apporte.
Au terme de notre réflexion, une évidence nous revient à l’esprit : le Sénégal dispose de terres arables, d’importantes ressources en eau, de l’énergie solaire et de la jeunesse de sa population. Notre nation possède donc toutes les cartes en main pour relever le défi d’une agriculture moderne, efficace et à haute valeur ajoutée. Techniquement tout est réalisable. Il semble qu’il reste une volonté politique pour concrétiser ces idées. Toutefois, ne limitons pas le débat à ce point de vue du technicien. Le débat doit être généralisé car de notre agriculture dépendra la paix sociale dans ce pays.
Mohamed Seck
Elève-ingénieur au Département de Productions Végétales
47éme promo-ISFAR ex ENCR