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Extrait de Sous l'orage

Mon fils, un jour tu auras soif

Texte choisi : " Mon fils, un jour tu auras soif"

I. Présentation de l'auteur : Seydou Badian Kouyaté est un écrivain et homme politique malien. Né en 1928, il mourut en 2018. Il a écrit :

Des romans : Sous l'orage (1957), le Sang des masques, (1976) ; Noces sacrées, (1977)

Une pièce théâtrale : La Mort de Chaka (1961)

Un essai : Les Dirigeants africains face à leurs peuples (1964)

II. Texte : Mon fils, un jour tu auras soif

La paix était revenue ce soir-là. Le père Benfa s’était allongé sur son tara après le repas du soir.

Boubouny, le petit singe, s’était approché de lui et l’on vit le patriarche passer la main par deux fois sur la tête du petit animal. Jamais Boubouny ne parut si sage. Il ne s’était attaqué ni au chapelet posé sur la peau de mouton, ni aux ustensiles de Maman Téné. La sagesse paraissait l’avoir habité. Birama, contrairement à ses habitudes, ne s’était pas retiré dans sa chambre.

Resté auprès de son ère, il lisait à la lumière pâle de la lampe à huile. Sibiri était là également dans la chaise longue, il caressait de temps en temps le mouton qui ruminait à ses pieds. Sous le petit manguier, Kany, Maman Téné et ses compagnes parlaient haut comme d’habitude et riaient aux éclats. C’étaient une nuit de Paix. Les différents semblaient oubliés, les peines évanouies ; les rancœurs étaient mortes, oui, mortes, car, ici, le cœur a toujours commandé gestes et paroles.

Deux silhouettes franchirent le seuil du vestibule, puis deux autres. Au bruit de leurs babouches, traînantes, on identifia les visiteurs ; c’étaient des Anciens. Le père Benfa se redressa, Birama ferme son livre. Sibiri se rajusta dans sa chaise, tandis que Maman Téné allait chercher les

grandes nattes de réception.

- Que la nuit vous soit douce ! s’écria un des visiteurs.

- Que la paix demeure chez vous, répondit le père Benfa.

- Benfa, nous te saluons.

- Que la paix soit chez vous.

- Asseyez-vous, Mamari, Aladji, Koniba, Siré.

- Benfa, il est donné à un seul être de ne pas se tromper ; c’est celui qui n’agit jamais.

- Vrai, Mamari.

Il y eut une minute solennelle. Le père Benfa se racla la gorge, mais ne dit rien.

- Benfa, reprit Mamari, mon père a assisté le tien toute sa vie durant ; il l’a vu et admiré parmi les guerriers, il l’a vu et admiré parmi les chasseurs de fauves ; entre toi et moi, il n’y a pas de refus.

- Vrai, murmura le père Benfa.

-Maintenant, Aladji, tu as la parole, fit Mamari à son voisin qui approuva de la tête en se lissant la barbe.

- Benfa, dit le vieux Aladji, nous sommes venus non pas pour corriger une erreur que tu as commise, mais plutôt pour que tu nous aides à ne pas en commettre. Tu sais aussi bien que moi, que les temps ont changé. Ça, tu le sais, Benfa, vouloir agir comme nous le faisions naguère, comme le faisaient nos pères, c’est montrer que tu ne vois pas tout le changement qu’il y a. Si nous sommes ici, c’est pour ne pas, l’instar de certains, te juger sur les apparences et commettre une erreur. Benfa, le mariage d’aujourd’hui n’est pas celui que nous connaissons nous autres.

" De notre temps, l’homme n’avait qu’une parole ; aujourd’hui, nous sommes en face de gens qui mettent tout leur génie à nourrir leurs semblables de fausses promesses."

« De notre temps, à la guerre comme dans la vie, on combattait de face. Aujourd’hui, le plus fort est celui qui sait dissimuler le mieux. Benfa, les choses ont changé. Nos enfants ne veulent plus nous suivre. Ils refusent tout ce que nous leur donnons. Ils croient trouver ailleurs ce qui réellement ne se trouve que chez soi. Que faire ? Devons-nous faire de nos enfants des adversaires ? Non ! Je ne le pense pas. La vie, tôt ou tard, leur enseignera un jour la vérité.

Car, « lorsqu’on a chaud dans sa case, on peut faire une ouverture au mur, mais lorsqu’on a chaud dans la case du voisin, on n’a plus qu’à aller dormir sous un arbre » et « la maison n’est belle que lorsque chacun y reconnaît sa part de labeur. »

« Crois-moi, Benfa, au lieu de faire de ces jeunes des adversaires, aidons-les plutôt. Ils sont malheureux. Leur route, ils la découvriront après des pistes jalonnées d’épines, mais ils la découvriront, car « de la racine à la feuille la sève monte et n’arrête jamais. »

Il y eut un silence ; la lampe à huile reflétait une lueur pâle sur le visage maintenant

mélancolique du père Aladji.

Le père Benfa se racla la gorge.

- Aladji, ce que tu viens de dire est juste.

Nous sommes dans un monde que nous ne connaissons pas. Aujourd’hui, il n’y a plus rien ...

Plus de liens entre père et fils. Plus de loyauté entre amis. Plus d’égards entre jeunes et anciens.

Cependant, malgré tout, je ne m’attendais pas à cela de la part de Kany…. Je suis entêté, parce que j’avais donné ma parole à Famagan. C’est aujourd’hui la seule chose qui me préoccupe. La parole donnée, Aladji…..

- C’est cela : s’exclama Mamari, j’y ai pensé, car je connais ta loyauté, cependant, sois tranquille de ce côté-là. J’ai vu Famagan, par trois fois. Je lui ai expliqué que cette bataille ne l’honore pas. Il se retire, m’a-t-il dit, si tu y consens… Je sais aussi que tu as adressé un message à ton frère Djigui ; avec ta permission, je me rendrai chez lui demain.

Le père Benfa parut songeur. Il leva les yeux sur les étoiles, puis tourna le regard vers les femmes qui s’étaient tues.

Famagan s’était retiré de lui-même. Le père Benfa n’avait donc rien à se reprocher. Et puis, Aladji et tous ces anciens étaient autant intéressés que lui. Il ne s’agissait pas seulement de Kany et de Birama, mais de tous ces jeunes qui croyaient en savoir plus long que les anciens.

Un jour, ils découvriraient leurs erreurs. Ils reviendraient alors vers leur monde, prêts à tout lui donner. Ce jour-là, ils comprendraient les Anciens et tous leurs gestes leur paraitraient clairs, grands et beaux. Leurs enfants, à qui ils raconteraient leurs aventures, grandiraient dans une nouvelle sagesse.

Sibiri, d’un geste, porta la main vers le gobelet d’eau.

- Il est vide, fit Birama, je vais t’en chercher.

Le père Benfa porta les regards vers Birama qui, d’un bond, avait pris le gobelet. Il le regarda de la tête aux pieds dans ses habits européens ; il sourit.

« Et toi aussi, mon fils, un jour tu auras soif », pensa-t-il.

                Montpellier, décembre 1954

                                   Seydou Badian, Sous l'orage, 1957

III. Quelques axes de lecture

- Le conflit des générations : Une fin heureuse

- Le poids de la parole donnée

- La sagesse de Boubouny, le singe

- Les marques du dialogue

- Les valeurs des modes et temps verbaux

 

IV. Quelques phrases aux allures de vérités générales

" Ici, le cœur a toujours commandé gestes et paroles."

" Que la nuit vous soit douce ! "

" Que la paix demeure chez vous ! "

" Il est donné à un seul être de ne pas se tromper ; c’est celui qui n’agit jamais."

" Nous sommes venus non pas pour corriger une erreur que tu as commise, mais plutôt pour que tu nous aides à ne pas en commettre."

" Les temps ont changé."

" Devons-nous faire de nos enfants des adversaires ? Non ! Je ne le pense pas. La vie, tôt ou tard, leur enseignera un jour la vérité."

" Leur route, ils la découvriront après des pistes jalonnées d’épines, mais ils la découvriront, car « de la racine à la feuille la sève monte et n’arrête jamais."

 

08/05/2022

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