Si nous voulions retrouver à travers les œuvres d’écrivains colonisés les différentes phases qui caractérisent cette évolution, nous verrions se profiler devant nos yeux un panorama en trois temps. Dans une première phase, l’intellectuel colonisé prouve qu’il a assimilé la culture de l’occupant. Ses œuvres correspondent point par point à celles de ses homologues métropolitains. L’inspiration est européenne et on peut aisément rattacher ces œuvres à un courant bien défini de la littérature métropolitaine. C’est la période assimilationniste intégrale. On trouvera dans cette littérature de colonisés des parnassiens, des symbolistes, des surréalistes.
Dans un deuxième temps, le colonisé est ébranlé et décide de se souvenir. Cette période de création correspond approximativement à la replongée que nous venons de décrire. Mais comme le colonisé n’est pas inséré dans son peuple, comme il entretient des relations d’extériorité avec le peuple, il se contente de se souvenir. De vieux épisodes d’enfance seront remontés au fond de sa mémoire, de vieilles légendes seront réinterprétées en fonction d’une esthétique d’emprunt et d’une conception du monde découverte sous d’autres cieux. Quelquefois, cette littérature de pré combat sera dominée par l’humour et par l’allégorie. Période d’angoisse, de malaises, expérience de la mort, expérience aussi de la nausée. On se vomit, mais déjà par en dessous, s’amorce le rire.
Enfin, dans une troisième période, dite de combat, le colonisé, après avoir tenté de se perdre dans le peuple, de se perdre avec le peuple, va au contraire secouer le peuple. Au lieu de privilégier la léthargie du peuple, il se transforme en réveilleur de peuple. Littérature de combat, littérature révolutionnaire, littérature nationale. Au cours de cette phase, un grand nombre d’hommes et de femmes qui auparavant n’auraient jamais songé à faire œuvre littéraire, maintenant qu’ils se trouvent placés dans des situations exceptionnelles, en prison, au maquis ou à la veille de leur exécution, ressentent la nécessité de dire leur nation, de composer la parole qui exprime le peuple, de se faire le porte-parole d’une nouvelle réalité en actes.
Frantz FANON, Les Damnés de la Terre, 1961
Quelques axes de lecture
- Un texte argumentatif
- Présentation du théme
- Les différentes phases du texte : les différentes postures de l’intellectuel colonisé
- Distinguer l’essentiel de l’accessoire dans le cadre d’un résumé
- Discutez cette affirmation : « Au lieu de privilégier la léthargie du peuple, l’écrivain colonisé va au contraire secouer le peuple ».
Bon dimanche à tous ! 12/07/2015