Chapitre XII
FINANCIEREMENT, il pouvait rentrer à Saint-Louis : il avait touché, en plus de ses appointements, des gratifications importantes.
Mais une histoire, à laquelle il était mêlé, avait éclaté pendant son absence. L'on prétendait, en ville, que Marie N'Diaye était enceinte.
Le jeune homme eut, avec elle, une entrevue.
- Es-tu convaincante, Marie, que je suis le père de ton fils ?
- Oui.
- Dans ces conditions je le reconnais dès à présent et je te donne ma parole d'honneur que tu ne manqueras de rien jusqu'à sa naissance. Je t'epouseras volontiers, si notre différence de religion ne faisait pas obstacle.
- Nous pouvons bien nous marier, riposta Marie; nous ne serons pas les premiers !
- Oui, mais très incommode, je ne peux aller à l'église. Ce sera ennuyeux aussi pour nos enfants qui ne sauront quelle confession religieuse embrasser.
A l'idée d'épousailles, sans port de voile, et sans la consécration par un prêtre catholique, Marie, qui avait une réelle foi chrétienne, comprit les arguments de Karim.
Ils admirent donc l'impossibilité de réparer, par l'hyménée, le scandale qui allait éclater.
En Europe ou en Amérique, ils passeraient, sans doute, outre les religions et l'opinion. En Afrique la foi était ardente dans les cœurs et les esprits timides. Chacun des amoureux considérait comme irrégulier un mariage qui ne serait pas conclu selon les rites de sa religion.
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Karim n'avait rien trouvé. Plus il réfléchissait, plus il sentait son impuissance à éviter le scandale. Le fiancé reviendrait bientôt ; il saurait la conduite de la jeune fille et romprait. Or, lui, ne pourrait pas, en réparation, épouser Marie. Les différences de religions et d'éducation, différences de mentalités de leurs parents, formaient entre eux deux un abîme infranchissable. Il leur serait possible de s'aimer comme auparavant ; tant que cela leur plairait ! C’est l'amour, magicien, qui fait fondre les barrières. Le mariage était beaucoup plus "affaire" et tenait compte d'un tas de choses.
Marie, de son côté, consulta des femmes âgées, compétentes en la matière. Celles-ci ordonnèrent la décoction de racines très amères, douées de pouvoir abortif ; et au bout de quarante-huit heures, elle ne fut plus enceinte.
La nouvelle allégea la conscience de Karim. Il avait souffert de ne pouvoir tirer son amie d'embarras. Maintenant, rien à craindre ! Le fiancé prendrait le bruit qui courait pour un faux racontage et tout s’arrangerait.
Ousmane Socé, Karim, 1948.
Quelques axes de lecture
- Le retour à Saint-Louis
- La question du libertinage
- La question de l’incompatibilité des religions en vue du mariage entre Karim et Marie NDiaye : un simple alibi ou une réalité
- Un avortement « traditionnel » salvateur
- « C’est l'amour, magicien, qui fait fondre les barrières » : que vous inspire cette formule ?
Bon dimanche à tous !
24/01/2016