Texte choisi : « Le Joola s’est donc surchargé seul ! » de Fatou Diome
- Présentation de l’auteure : Née en 1968 à Niodior, Fatou Diome est romancière et essayiste, nouvelliste ... Elle a publié La Préférence nationale (2001), Le Ventre de l'Atlantique (2003), Kétala (2006), Inassouvies, nos vies (2008), Celles qui attendent (2010), Impossible de grandir (2013), Marianne porte plainte ! (2017), Les Veilleurs de Sangomar (2019), De quoi aimer vivre (2021), Marianne face aux faussaires (2022), Le Verbe libre ou le silence (2023)...
- Texte : « Le Joola s’est donc surchargé seul ! »
La journée, quand la grégarité villageoise imposait sa loi, Coumba laissait parler les commentateurs qui se perdaient en élucubrations. Serrant sa petite, elle s‘interrogeait, oscillant entre abattement et révolte. « C’est la volonté divine qui l’a voulu ainsi », disaient les causeurs, évoquant Bouba avec le même fatalisme qu’ils regretteraient une récolte saccagée par les criquets. « Dieu l’a voulu ainsi ! » disaient-ils. Comme si Dieu n’avait pas donné le libre arbitre aux humains, les rendant ainsi maitres de leurs stupides décisions comme de leurs actions criminelles ! « C’est le destin ! » ce type de phrase révulsait Coumba : le Joola s’est donc surchargé seul ! Il s’est auto-manœuvré pour aller se saborder à Adiaguediâkh ! Le destin, martelaient les Métamorphosés, bâillonnant ainsi toute complainte, invalidant tout réquisitoire contre les fautifs. Ces derniers étant également présentés comme des victimes, martyrs du même destin, qui s’était accompli à travers eux, malgré eux. Coumba se demandait pourquoi l’humanité recourt aux pompiers, si le sort rend toute catastrophe imparable. Le destin a bon dos ! fulminait-elle. Un jour, elle, qui pleurait encore son chéri, en arriverait peut-être à casser la mâchoire à l’un de ces beaux-parleurs, arguant l’infortune pour dédouaner des coupables. Paupières baissées, lèvres pincées, Coumba ruminait, quand les bavards se marchaient sur la langue. Son calme était volcanique ; mentalement, elle distribuait des uppercuts. Si Sangomar avait exaucé ses prières, les casuistes auraient vu leurs dents pulvérisées.
Ces fatalistes qui malmenaient vainement ses oreilles, que savaient-ils de ses nuits au bord du gouffre et des pensées cauchemardesques qui ne la quittaient plus ? Combien de mètres mesurait la monstrueuse vague qui avait englouti son géant ? Quelle était la température de l’eau ? Bouba était si frileux. Marin, fils et petit-fils de marin, avait-il nagé longtemps avant de s’avouer vaincu ? Avait-il été surpris dans une cabine où il espérait un peu de repos ? Cette nuit-là, avait-il eu le temps de dîner ou non ? Dans quelles conditions son aimé avait-il fini par cesser d’espérer un retour sur la terre ferme et renoncer à ses bras ainsi qu’au futur de Fadikine ? Ces questions torturaient Coumba, lui coupaient l’appétit, rabotaient ses hanches, creusaient ses joues. Et des résignés venaient l’assiéger, brandissant le destin, telle une sucette de caramel pour enfant mal luné ! Au diable ces pseudo-compatissants ! Comment pouvaient-ils prétendre comprendre et partager sa peine, s’ils se moquaient de savoir les véritables causes du désastre ? Le destin ? Quel mauvais sort, quelle sorcière, quelle sirène jalouse a coulé son amour ? Non, rien de tout cela ! s’emportait-elle in petto. Ni diable ni sorcière ! Seuls les irresponsables qui ont surchargé le Joola ont privé le Sénégal de tant de ses enfants et brisé le rêve de plusieurs de ses invités ! Plaider la guigne et la volonté divine ne calme que les autruches ! C’est l’inconscience, le dilettantisme, l’incompétence et le sentiment d’impunité qui ont sabordé le Joola. Rien d’autre ! De tels manquements rendent toute excuse scandaleuse !
Fatou Diome, Les veilleurs de Sangomar, Albin Michel, 2019.
- Quelques axes de lecture
- La dénonciation d’un laxisme inadmissible
- Le sens des responsabilités. Le rejet du fatalisme
- Etablir les rapports entre les personnages : Coumba Bouba et Fadikine
- Une série de questions
- Repérage et interprétation de figure de style : comparaison, métaphore, parallélisme, etc.
- Les valeurs des temps et modes verbaux : imparfait de l’indicatif, plus-que-parfait, conditionnel passé …
- La formation des mots : préfixe, radical, suffixe
- Le participe présent
- Un texte riche en signes de ponctuation
- Les adverbes en –ment
- Les fonctions de l’adjectif qualificatif
- Insistons sur :
- La ponctuation
« La ponctuation aide à lire et à comprendre le sens d’une phrase. Les signes de ponctuation sont au nombre de dix : la virgule, le point-virgule, les deux-points, le point, le point d’interrogation, le point d’exclamation, les guillemets, les parenthèses, les tirets, les points de suspension. »
Les deux- points permettent d’indiquer de quels éléments se compose un ensemble, de citer ou de rapporter les paroles de quelqu’un ou d’exprimer une explication.
Exemple : «« C’est le destin ! » ce type de phrase révulsait Coumba : le Joola s’est donc surchargé seul ! »
2. L'adverbe de manière en "-ment"
On l'obtient généralement en ajoutant le suffixe -ment à un adjectif qualificatif féminin.
Exemples : « Son calme était volcanique ; mentalement, elle distribuait des uppercuts. »
« Ces fatalistes qui malmenaient vainement ses oreilles … »
- L’adjectif qualificatif
L’adjectif qualificatif se rapporte au nom pour préciser le sens, pour lui attribuer une qualité particulière.
- L’adjectif qualificatif peut être épithète quand il est placé immédiatement à côté du nom auquel il se rapporte.
Exemple : « la grégarité villageoise »
On parle d’épithète détaché (ou mis en apposition) quand il est séparé du nom auquel il se rapporte par une virgule ou d’autres noms.
- L’adjectif qualificatif peut être attribut du sujet, s’il est relié au sujet par un verbe d’état (être, paraître, devenir, sembler, trouver, etc.)
Exemple : « Bouba était si frileux. »
- L’allitération renvoie à la répétition de consonnes dans une suite de mots.
Exemple : « Comment pouvaient-ils prétendre comprendre et partager sa peine, s’ils se moquaient de savoir les véritables causes du désastre ? »
Allitération en "p"
- La comparaison est un rapprochement de deux termes qui ont un élément commun. Ce rapprochement s'effectue à l'aide d'un outil comparant (comme, ainsi que, de la même façon que...)
Exemple : « Et des résignés venaient l’assiéger, brandissant le destin, telle une sucette de caramel pour enfant mal luné ! »
6. Lexique
Révulser : bouleverser
Dilettantisme : amateurisme
Fulminer : Formuler avec véhémence
Casuistique : tendance à argumenter avec une subtilité excessive, notamment sur les problèmes de morale.
Casuiste : théologien spécialiste de la casuistique
Luné : bien, mal luné : dans de bonnes, de mauvaises dispositions d’humeur
29/09/2024
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