Texte choisi : « La France, ce n'est pas le paradis » de Fatou Diome
I - Présentation de l'auteur : Née à Niodior en 1968, Fatou Diome s’est installée en France, plus précisément à Strasbourg depuis 1994. Son roman Le Ventre de l’Atlantique, publié en2003 aux éditions Anne Carrière connait un grand succès. Il est traduit en une quinzaine de langues. En 2006, parut Kétala, Inassouvies, nos vies en 2008, Celles qui attendent en 2010, Impossible de grandir en 2013, Les Veilleurs de Sangomar en 2019, De quoi aimer vivre en 2021.
II- Texte : La France, ce n'est pas le paradis
Le sable de la plage respirait la miséricorde. Plat, blanc, fin et poreux, il laissait les vagues venir timidement sucer son âme. Quelques débris de bois et autres détritus dérivaient vers le large sur la crête des vagues qui dansaient à reculons, en espérant un retour improbable sur la terre ferme. Les palétuviers bordant la plage pointaient leurs branchages vers le sol, comme autant de drapeaux en berne. Ces arbres, qui inlassablement contemplent leur ombre lorsqu'ils ne se confondent pas avec elle, étaient figés là dans l'espoir de voir un jour revenir vers eux leurs feuilles, leurs branches, tous ces bouts d'eux-mêmes avec lesquels la mer se retirait. Cette attente ne serait peut-être pas vaine, car la mer sait rendre à la terre ce qui lui appartient.
La pirogue accosta. La brise soufflait sur les plaies des vivants. Silencieux, deux pêcheurs débarquèrent leur cargaison. Les jeunes footballeurs s'approchèrent. Sur le wharf, un homme était allongé, les bras vigoureux ; vu de loin, il ressemblait à un baigneur au repos. Seuls ses habits entrouverts révélaient qu'il n'avait pas choisi d'être là, encore moins dans cette posture. Non loin du village, juste à l'endroit où l'île trempe sa langue dans la mer, les pêcheurs avaient pris dans leurs filets le corps inerte de Moussa.
Même l'Atlantique ne peut digérer tout ce que la terre vomit. Allah Akbar ! À la mosquée, on avait fini de prier. Le prêcheur ponctua son prône par ces mots : Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité !
La mémoire de Ndétare non plus ne pouvait digérer l'aventure de Moussa, qui lui remontait à la gorge chaque fois que ses poulains, prétextant leur passion pour le football, se laissaient aveugler par la chimère tricolore. En bon pédagogue, il avait noyé son amertume au fond de son œil cartésien et utilisait cette histoire comme exemple dissuasif.
- Méfiez-vous, petits, concluait-il, allez regarder la télévision chez l'autre parvenu, mais de grâce, n'écoutez pas les sornettes que vous raconte cet hurluberlu. La France, ce n'est pas le paradis. Ne vous laissez pas prendre dans les filets de l'émigration. Rappelez-vous, Moussa était un des vôtres et vous savez aussi bien que moi comment il en est sorti...
Madické et ses camarades écoutaient l’instituteur marteler inlassablement les mêmes mots, sans vraiment l’entendre. Les enseignants n’ont-ils pas la réputation de parler beaucoup ? Pour les jeunes, Ndétare commençait à vieillir et ne faisait plus que radoter. Alors, lorsqu’il devenait lourd, comme ils disaient, la petite équipe prenait ses distances pour s’adonner à ses rêves. Certains profitaient de cette absence d’entrainement pour aller assister à des matchs en ville, d’autres pour consulter les marabouts spécialisés dans le foot. Avec leurs maigres économies, ils se payaient des gris-gris censés les faire gagner à coup sûr et favoriser un futur départ pour la France. Chaque plante se trouvait investie d’une vertu, et sa cueillette associée à une incantation indécodable. Les décoctions se multipliaient dans les chambres. Des poulets étaient égorgés selon un rituel compliqué. Sous le regard pudique de la lune, un sorcier ténébreux administrait des douches purificatrices très peu orthodoxes. Pour ceux qui n’avaient pas assez d’argent, en vue de dédommager les « savants », les mères, prêtes à tout afin d’améliorer l’avenir de leurs fils, se laissaient dépouiller : « Adieu, parures et boubous de fête ! J’en aurai d’autres, quand mon fils s’en reviendra d’Europe, enrichi ! » Chut ! Ne le répétez pas. Ici, personne ne voit de marabout. Une ombre n’a pas de nom ! La nuit, il n’y a que les esprits qui circulent dans le village.
Fatou Diome, Le ventre de l’Atlantique, Anne Carrière, 2003.
III- Quelques axes de lecture
- La question de l’émigration : le voyage à tout prix ( les sacrifices consentis, les risques pris)
- L’aventure de Moussa : un exemple dissuasif
-Un cadre paradisiaque
- Un texte riche en images
- Relevez les adverbes en -ment
- Les temps du récit
- Repérage et interprétation de figures de style : personnification, métonymie, métaphore, périphrase, comparaison, énumération, question oratoire, synecdoque, etc.
IV- Insistons sur :
- L'énumération consiste à juxtaposer plusieurs termes qui appartiennent à la même classe grammaticale.
Exemple : « Plat, blanc, fin et poreux, il laissait les vagues venir timidement sucer son âme. »
- La métaphore :
Fonctionnant à peu près sur le même principe que la comparaison, la métaphore permet d'établir une assimilation en reliant le comparé et le comparant. Avec la métaphore, il n'y a pas d'outil comparatif.
Quand la métaphore s'étale sur plusieurs mots, lignes ou vers, on parle de métaphore filée.
Exemple : « Même l'Atlantique ne peut digérer tout ce que la terre vomit. »
2- Quelques phrases aux allures de maximes
« La mer sait rendre à la terre ce qui lui appartient. »
« Chaque miette de vie doit servir à conquérir la dignité ! »
11/04/2021