Texte choisi : « Ma mangue tomba » de Nafissatou Niang Diallo
I- Présentation de l’auteur : Née en 1941, Nafissatou Niang Diallo, sage-femme de profession, a publié en 1975 son roman autobiographique De Tiléne au Plateau. Elle mourut en 1982.
II- Texte : Ma mangue tomba
Je prie pour mes parents disparus ; je leur suis reconnaissante de l’éducation qu’ils m’ont donnée et j’essaie, avec plus de philosophie, et, certes, moins de rigueur, de faire suivre cette voie à mes enfants.
Vint mon initiation à l'Ecole Coranique. Il était exceptionnel, en ces temps-là, que les enfants musulmans fréquentent les écoles laïques avant d'avoir bénéficié, pendant longtemps, d'un enseignement religieux. Les jardins d'enfants n'existaient pas et l'âge exigé pour entrer dans une école laïque était sept ans.
Ainsi jusqu'à sept ans nous fréquentions l'école musulmane, et même après, pendant les vacances scolaires. Mes aînés y avaient été avant moi; je n'y suis guère restée plus de trois ans à cause mon indiscipline. L'enseignement n'était pas gratuit, mais la somme payée était insignifiante : trente francs le mois et deux francs spéciaux le mercredi. Père ne payait d'ailleurs que parce qu'il le voulait bien, mon marabout étant l'oncle de ma mère. Comme celui-ci ne réclamait jamais l'argent, j'en avais fait mon pécule personnel en l'absence d'autre argent de poche. Je devais être prise un jour.
En face de l'actuel Centre d'Hygiène Sociale existait un terrain vague nommé, je ne sais pourquoi, " Syndicat", qui servait de marché aux mangues durant l'hivernage. J'y avais fait la connaissance d'une commerçante aussi âgée que ma grand-mère à qui je remettais l'argent du marabout chaque mois contre quatre paniers de mangues, un par mercredi, mon jour de repos. Craignant d'être dénoncé car mes sœurs et cousines, j'y allais seule en évitant les voies fréquentées par mon père dont l'atelier était à quelque pas du marché.
Un panier en un après-midi, vous avez bien lu, et mes mangues, je les dévorais telles quelles, sans les laver, ignorant mouches et microbes. Pourtant je n'ai pas connu les troubles digestifs dont souffrent aujourd'hui mes enfants après avoir mangé quelques mangues innocentes, stérilisées à l'eau et au savon.
Un mercredi où il faisait particulièrement chaud, je me tenais hors de la tente de la vendeuse. Assise sur un banc, je savourais une mangue au milieu d'un essaim de mouches quand brusquement je sentis une poigne solide m'encercler le bras. Ma mangue tomba. Je me retournai prête à la riposte, mais c'était mon père en kaki, son éternel chapeau sur la tête, une main sur son vélo. Sans un mot, il m'appliqua deux maîtresses gifles. Je détalai comme un lièvre, arrivai avant lui à la maison et me cachai dans la chambre de grand-mère où j'étais sûre d'être momentanément à l'abri. Ce fut la fin de mes études coraniques. Ma punition fut de garder la maison sans en franchir le seuil jusqu'à l'ouverture des classes. Je devais participer uniquement aux travaux domestiques. Diverses tâches me furent assignées sous surveillance. Les achats au marché ou dans les boutiques voisines, les corvées d'eau, tout ce qui aurait été l'occasion de me mettre à l'air du dehors était proscrit.
J'étais furieuse. Mais, consciente d'avoir joué et perdu peut-être dans l'aventure, à mon entrée à l'école européenne, j'avais décidé de me racheter par ma bonne conduite.
La chance fut contre moi cette année-là. Faute de place disponible dans les écoles, je ne pus être inscrite. Je devais attendre une longue année.
Nafissatou Niang Diallo, De Tiléne au Plateau, une enfance dakaroise, 1975.
III- Quelques axes de lecture
- Les réalités d’une époque retracées
- Un récit autobiographique
- L’adjectif qualificatif
- Les valeurs des temps verbaux : le passé simple, l’imparfait de l’indicatif
IV- Insistons sur :
1. L’adjectif qualificatif se rapporte au nom pour préciser le sens, pour lui attribuer une qualité particulière.
L’adjectif qualificatif peut être épithète quand il est placé immédiatement à côté du nom auquel il se rapporte.
Exemple : « je sentis une poigne solide »
On parle d’épithète détaché (ou mis en apposition) quand il est séparé du nom auquel il se rapporte par une virgule ou d’autres noms.
- L’adjectif qualificatif peut être attribut du sujet, s’il est relié au sujet par un verbe d’état (être, paraître, devenir, sembler, trouver, etc.)
Exemples : «je leur suis reconnaissante. »
« la somme payée était insignifiante »
2. L’adverbe de manière en –ment
On peut créer de nouveaux adverbes grâce au suffixe -ment qui permet de fabriquer un adverbe à partir d'un adjectif.
Exemples : « il faisait particulièrement chaud. »
« quand brusquement je sentis une poigne solide m'encercler le bras. »
3. L’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir
L'accord du participe passé employé avec l'auxiliaire "avoir" :
Avec l’auxiliaire avoir, le participe passé ne s’accorde pas avec le sujet. Il s’accorde plutôt en genre et en nombre avec le COD si celui-ci est placé avant le verbe.
Exemple : « je leur suis reconnaissante de l’éducation qu’ils m’ont donnée »
Les participes " chantée" et "fixée" s'accordent parce que le COD est placé avant.
Si le COD est placé après le verbe, le participe ne s'accorde pas.
Exemple : « Pourtant je n'ai pas connu les troubles digestifs dont souffrent aujourd'hui mes enfants après avoir mangé quelques mangues innocentes. »
4. Le passé simple de l’indicatif est essentiellement employé à l'écrit pour exprimer une action complètement achevée à un moment déterminé du passé.
Exemple : « je sentis une poigne solide m'encercler le bras. Ma mangue tomba. Je me retournai prête à la riposte, »
03 /11/2024
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